← On connaissait tellement bien tout le monde, à Combray, bêtes et gens, que si ma tante avait vu par hasard passer un chien «qu’elle ne connaissait point», elle ne cessait d’y penser et de consacrer à ce fait incompréhensible ses talents d’induction et ses heures de liberté. 🔊✎
← Il faisait à peine assez clair pour lire, et la sensation de la splendeur de la lumière ne m’était donnée que par les coups frappés dans la rue de la Cure par Camus (averti par Françoise que ma tante ne «reposait pas» et qu’on pouvait faire du bruit) contre des caisses poussiéreuses, mais qui, retentissant dans l’atmosphère sonore, spéciale aux temps chauds, semblaient faire voler au loin des astres écarlates; et aussi par les mouches qui exécutaient devant moi, dans leur petit concert, comme la musique de chambre de l’été: elle ne l’évoque pas à la façon d’un air de musique humaine, qui, entendu par hasard à la belle saison, vous la rappelle ensuite; elle est unie à l’été par un lien plus nécessaire: née des beaux jours, ne renaissant qu’avec eux, contenant un peu de leur essence, elle n’en réveille pas seulement l’image dans notre mémoire, elle en certifie le retour, la présence effective, ambiante, immédiatement accessible. 🔊✎
← Ce n’était pas seulement parce qu’une image dont nous rêvons reste toujours marquée, s’embellit et bénéficie du reflet des couleurs étrangères qui par hasard l’entourent dans notre rêverie; car ces paysages des livres que je lisais n’étaient pas pour moi que des paysages plus vivement représentés à mon imagination que ceux que Combray mettait sous mes yeux, mais qui eussent été analogues. 🔊✎
← Malheureusement sur presque toutes choses j’ignorais son opinion. Je ne doutais pas qu’elle ne fût entièrement différente des miennes, puisqu’elle descendait d’un monde inconnu vers lequel je cherchais à m’élever: persuadé que mes pensées eussent paru pure ineptie à cet esprit parfait, j’avais tellement fait table rase de toutes, que quand par hasard il m’arriva d’en rencontrer, dans tel de ses livres, une que j’avais déjà eue moi-même, mon cœur se gonflait comme si un Dieu dans sa bonté me l’avait rendue, l’avait déclarée légitime et belle. 🔊✎